Gandhi en une maison de tolérance

"Mon ami m'emmena une fois dans une maison de tolérance. il m'en fit franchir le seuil, nanti de toutes les instructions nécessaires. Tout avait été arrangé d'avance. L'argent même était déjà versé. Le reste ne dépendait plus que de moi. J'entrai donc dans cette maison; mais Dieu, dans Son infinie miséricorde, me protégea contre moi-même. Je fus presque frappé de cécité et de mutisme, dans cet antre du vice. Je m'assis sur le lit, près de la femme; mais ma langue se lia. Naturellement, la femme perdit patience et me montra la porte, en me couvrant d'injures et d'insultes. Sur le moment, j'eus le sentiment d'avoir été offensé dans ma virilité, et, de honte, j'aurais voulu que la terre m'engloutît. Mais depuis, j'ai toujours remercié Dieu de m'avoir sauvé. Je me souviens de quatre incidents semblables dans ma vie; et dans la plupart d'entre eux, je dus le salut à ma bonne fortune plutôt qu'à un effort de ma part. Du strict point de vue de l'éthique, de tels cas ne peuvent passer que pour autant de défaillances morales: le désir charnel y était, qui valait l'acte. Mais du point de vue courant, quiconque échappe à la consommation physique du péché, est tenu pour sauvé. Je ne fus sauvé que dans ce sens. Il est des actions auxquelles échapper est une bénédiction, tant pour celui qui s'en tire que pour ceux qui l'entourent. L'homme sitôt que lui revient la conscience du bien, rend grâces à la miséricorde divine qui lui a permis de s'évader. Si l'on sait que l'homme succombe souvent à la tentation, quelle que soit la résistance qu'il offre, on sait aussi que la Providence intercède souvent et le sauve en dépit de lui-même. Comment tout cela se produit-il? - dans quelles limites l'homme est - il libre, et dans quelles limites n'est - il le que fait des circonstances? - jusqu'où va le jeu du libre - arbitre, et où le destin entre - t - il en scène?... C'est là le mystère; et mystère éternel."

M. K. Gandhi, Expérience de Vérité, P.U.F., p.35, 1950