Logique/Logos/Silence
« Parler, c’est recouvrir le mouvement de la
vie, qui se produit au même moment, par des mots qui peuvent le
désigner, l’annoncer, le commenter ou l’ordonner, mais aussi
de plus loin continuer tout simplement la conversation en cours. Tout en me
promenant il m’arrive ainsi de dire : “tiens, voilà des
acacias en fleurs”, ou bien “si on allait jusqu’à ce
tournant pour s’y asseoir”, ou bien “j’ai soif”,
ou bien “tu te sens mal ?”, ou bien “je me demande si les prunes qui sont
restées petites vont maintenant grossir ou faner”, et lorsque je
suis seul je peux penser aux propositions négatives, ou à la
mort, en me parlant à moi-même dans ma réflexion.
Cependant, je marche, je regarde, je suis triste ou insouciant, je
m’inquiète ou j’espère, je cherche à savoir ou
je m’abandonne à ce qui se présente. Ma conscience, alors, est comme
double : je perçois ce qui se passe, d’une part, odeur,
fatigue, geste ou désir de l’un ou de l’autre, et en
même temps j’écoute ce qui se dit. Mais il semble que les
deux attentions soient en concurrence et que l’une ne puisse
s’exercer pleinement qu’au détriment de l’autre. A
certains moments limites, même, ou bien la violence de la vie est telle
que je m’arrête de savoir parler, ou bien le mécanisme du
discours aveugle tout le reste » (Brice Parain, Sur la Dialectique)