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Claire Obscurité
5 janvier 2011

L'atome de Démocrite

Mais dans ce moule archaïque, il introduit une nouveauté con­sidérable, c’est la doctrine des atomes ; la physique démocri­téenne est la première physique corpusculaire bien nette : la masse infinie où se trouvent mélangées les semences de tous les mondes est faite d’une infinité de petits corpuscules, invisibles à cause de leur petitesse, indivisibles (atomes), complètement pleins, éternels, gardant chacun la même forme, mais présentant une infinité de formes différentes, à qui il donne le nom d’idées, celui même que Platon donnera plus tard à des essences également éternelles ; entre les atomes, nulle autre différence que leur grandeur et leur forme, ou bien, s’ils ont même grandeur et même forme, que leur position ; entre plusieurs combinaisons des mêmes atomes, nulle différence que l’ordre relatif des atomes [1]. D’autre part, l’origine d’un monde, à savoir le détachement d’une portion de la masse infinie, suppose un vide dans lequel tombe cette portion ; sans vide, pas de mouvement ; et par vide il faut entendre l’espace entièrement privé de solidité, ce qui n’est pas par opposition à ce qui est ; affirmer le vide, c’est donc affirmer la nécessité d’existence de ce qui n’est pas, c’est con­tredire le grand principe de Parménide [2]. L’amas d’atomes est, nous l’avons dit, animé d’un mouvement tourbillonnaire dont l’origine est d’ailleurs obscure ; l’effet de ce mouvement est de produire de multiples chocs entre les atomes de tout poids. Comme il arrive dans un tourbillon de vent ou d’eau, les atomes les plus légers sont repoussés vers le vide extérieur, tandis que p.79 les atomes compacts se réunissent au centre où ils font un pre­mier groupement sphérique ; dans cette sphère se distingueront peu à peu une enveloppe sphérique qui devient de plus en plus mince, et un noyau central qui s’agrège en partie les atomes enlevés à la membrane ; dans la membrane se forment les corps célestes aux dépens des atomes extérieurs qui touchent le tourbillon et s’y agrègent [3].

Ainsi, pour la première fois dans une cosmologie grecque, nul appel n’est fait à des puissances qualitatives telles que le froid et le chaud ; nul appel non plus à des causes motrices extérieures aux réalités élémentaires telles que l’Intelligence, l’Amitié ou la Haine. Rien qu’une mécanique corpusculaire où jouent seules un rôle les propriétés de figure, d’impénétrabilité, de mouvement, de position. La vraie réalité appartient à l’atome et au vide ; les autres propriétés que nous donnons aux choses, sueur, chaleur ou couleur, leur appartiennent simplement par conven­tion [4] ; elles sont de simples affections de la sensation, qui naissent dans l’altération de l’organe par l’objet, comme dans la doctrine que Platon prête au sophiste Protagoras d’Abdère et selon laquelle la qualité perçue est le résultat du concours de deux mouvements ; c’est bien ainsi que Démocrite concevait la vision : l’air placé dans l’intervalle de l’œil et de l’objet vu se contracte sous la double influence des effluves qui émanent de chacun des deux ; l’air est ainsi apte à recevoir l’impression qu’il transmet jusqu’à la pupille où a lieu le reflet de l’objet [5].

Ainsi, en même temps qu’une physique mécaniste, naît tout naturellement le scepticisme à l’égard des sens ; la connaissance qu’ils nous donnent est une « connaissance bâtarde » ; la « connaissance légitime » vient de la raison.

La mobilité dépend donc non pas d’une puissance quali­tative quelconque, mais de la forme ou de la dimension des p.80 atomes ; c’est pourquoi la physique corpusculaire contient une théorie de l’âme ; l’âme étant mobile et cause de mouvement est faite d’atomes sphériques comme ceux du feu ou comme les poussières que l’on voit voltiger en un rayon de soleil ; ses atomes qui sont en nombre égal à ceux du corps et se juxta­posent à eux en alternant un à un avec eux, sont continuellement rénovés par la respiration [6].

De l’œuvre de Démocrite, nous entrevoyons à peine les prin­cipes ; il faut pourtant, d’après l’ensemble de ses traités, comme d’après les témoignages anciens, le considérer moins comme un théoricien que comme un observateur. Aristote nous fait connaître, non sans intention critique, que Démocrite se contente de recueillir les faits qui se produisent et de noter, quand il y a lieu, leur constance sans vouloir déterminer plus avant leur principe ; collectionnant et classant les faits naturels avec la même curiosité et dans le même esprit que les historiens ioniens du Ve siècle, Hécatée de Milet ou Hérodote, recueillent les faits de l’histoire [7].

A cette science d’esprit si positif, Démocrite ajoutait une morale qui, complètement étrangère au sens tragique de la vie et de la destinée qui se manifeste chez les poètes philosophes de la Grande-Grèce, a pour thème principal le calme d’une âme exempte de crainte et de superstition. Démocrite admet l’existence des dieux, mais ce sont, au même titre que les hommes, des combinaisons d’atomes passagères et soumises à la nécessité universelle [8].



[1] ARISTOTE, Métaphysique A 4, 985 b, 15.

[2] THEOPHRASTE (DIELS, Doxograph., 484), 1-3.

[3] DIOGÈNE LAËRCE, IX, 31.

[4] SEXTUS EMPIRICUS, Contre les mathématiciens, VII, 135.

[5] PLATON, Théététe, 52, comparé à THEOPHRASTE, Dessens, § 63, (RIVAUD, Le Pro­blème du devenir, 1905, p. 160).

[6] ARISTOTE, De l’âme, I, 2, 404 a.5 ; LUCRÈCE, De la nature, I, 370 [‘370’].

[7] ARISTOTE, Physique, VIII, 1.

[8] DIOGÈNE LAËRCE, IX, 45 ; CICÉRON ; De la nature des Dieux, I, 2a ; fragments très contestés des ouvrages moraux dans STOBÉE, Florilège.

Bréhier, ibidem

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Claire Obscurité
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