La religion non religieuse de Socrate
Cette force intérieure qui le pousse vers les autres, Socrate la sent comme une mission divine. Il faut insister sur ce caractère religieux : le point de départ de son activité à Athènes n’est-il pas la réponse de la Pythie de Delphes à son enthousiaste ami Chéréphon à qui il fut révélé que personne n’était plus sage que Socrate ? C’est Apollon « qui lui avait assigné pour tâche de vivre en philosophant, en se scrutant lui-même et les autres [1] » ; rien d’exceptionnel d’ailleurs, en ce temps, à l’interprétation que Socrate donne de ses propres tendances ; il ne manquait pas d’hommes, comme les Euthyphron dont parle Platon, qui se croyaient en rapport spécial avec le divin [2] ; et Socrate en particulier semble avoir éprouvé en lui-même la présence divine par le fameux démon, ou plutôt ce signe démoniaque, cette voix intérieure qui, dans les cas où la sagesse humaine est impuissante à prévoir l’avenir, lui révélait les actes dont il faut s’abstenir [3]. Toutefois, sur cet aspect religieux de la pensée de Socrate, il faut bien s’entendre : la religion lui donne foi et confiance en lui-même, mais il n’en tire aucune vue doctrinale sur la destinée humaine, et il n’y a aucune raison de croire qu’il ait été adepte de l’orphisme.
[1] PLATON, Apologie, 21a ; 28 e.
[2] PLATON, Euthyphron, 3 bc.
[3] PLATON, Euthyphron, 3 b ; Alcibiade, 103 à 105e ; XÉNOPHON, Mémorables I, 2-4 (le démon signe divinatoire).