Apophatisme de Clément
Il est certain que la discussion présente, qui a Dieu pour objet, se hérisse de difficultés. S'il est constaté que découvrir le principe de quoi que ce soit est chose laborieuse, à plus forte raison, le premier et le plus ancien de tous les principes, celui par lequel les autres existent et continuent d'exister, sera-t-il difficile à démontrer ? De quel nom appeler, en effet, celui qui n'est ni genre, ni différence, ni espèce, ni individu, ni nombre, ni accident, ni soumis à rien d'accidentel ? Direz-vous qu'il soit un tout ? L'expression demeure imparfaite, puisque un tout est une quantité mesurable, et que Dieu est le père de l'universalité des êtres. Lui donnerez-vous des parties diverses? Non, sans doute ; car ce qui est un est indivisible. Voilà pourquoi il est infini, non pas dans ce sens que la pensée humaine le conçoit comme impossible à embrasser; mais parce qu'il n'admet point de dimension et ne connaît point de bornes. Aussi n'a.t-il pas de formes, et ne peut-il être nommé. Et si nous le désignons quelque fois par ces termes, le Dieu un, le Dieu bon, l'Esprit, l'Être par excellence, le Père, le Dieu, le Créateur, le Seigneur, ce sont là des dénominations dépourvues de justesse et impuissantes à le caractériser. Nous ne recourons à ces mots dignes de respect que par indigence du nom véritable, pour fixer notre pensée et l'empêcher de s'égarer sur d'autres appellations qui dégraderaient l'Éternel. Aucun de ces termes, pris séparément, n'explique Dieu ; réunis ensemble, ils indiquent sa toute-puissance. On connaît les choses ou par leur propre nature, ou par le rapport qu'elles ont les unes avec les autres. Ici rien de tout cela ne convient à Dieu. La démonstration elle-même est inhabile à le découvrir, puisqu'elle repose sur des principes antérieurs et des notions premieres. Or, rien n'a existé avant l'Être incréé. Il ne nous reste donc, pour nous faire comprendre le Dieu inconnu, que sa grâce et son Verbe, ainsi que Luc nous le montre dans les Actes des Apôtres, quand il met ces mots dans la bouche de Paul :
« Athéniens, il me « semble qu'en toutes choses vous êtes très-religieux. Car, en passant et en voyant les statues de vos Dieux, j'ai trouvé même un autel où il est écrit : AU DIEU INCONNU. Ce Dieu donc, que vous adorez sans le connaitre, est celui que je vous annonce. »
Saint Clément d'Alexandrie, Stromates, V,12