L'(A)amour selon Eckhart
Sermon parisien sur l’expression « de tout [ton] cœur » dans Mt 22,37 : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. »
398. [… D’]après Denys [l’Aréopagyte, in Les Noms Divins, chap 4, n. 13] l’amour produit l’extase en plaçant l’aimant hors de lui et à l’intérieur de son aimé [Thomas d’Aquin, in Somme Théologique, I II, q. 28, a. 3]. [Donc] celui qui aime véritablement ne cherche absolument rien qui le concerne lui-même ou qui concerne n’importe qui d’autre, ni ne pense à rien d’autre en dehors de l’aimé. En effet, celui qui ne s’aime plus, qui s’anéantit, renonce au monde entier, et anéantit toute sa délectation, ne possède rien, qu’il puisse aimer [en dehors de l’être aimé]. En effet, qui ne s’aime plus, n’aime plus sa délectation [même venant] à partir de l’aimé ou dans l’aimé [Eckhart, Commentaire de l’Evangile de Saint Jean, n.734]. Ce qui est honnête est en effet distinct de ce qui est délectable [Thomas d’Aquin, ibidem, II II, q. 145, a. 3].
399. […En] voici la raison : moins il se cherche lui-même dans l’aimé, plus il aime parfaitement et véritablement celui-ci. Mais, plus il aime parfaitement, plus il se délecte à partir de l’union [qu’il entretient] avec lui. Par conséquent, moins il recherche la délectation, plus grande est la délectation qu’il ressent, d’après ceci : «J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas » (Rm 10,20), et il est dit ainsi en Es 65,1 : « Ils m’ont cherché, ceux qui auparavant ne m’interrogeaient pas ; ils m’ont trouvé, ceux qui ne m’ont pas cherché. »
400. Il apparaît par conséquent que chaque individu qui cherche la délectation à partir de quelque chose, ou dans quelque chose, ne l’aime pas, mais s’aime lui-même, et cet amour ne produit pas l’extase. Par suite, il ne s’agit pas d’amour. Mais celui qui aime Dieu proprement et parfaitement, n’aime absolument rien d’autre ni rien de plus. (…)