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Claire Obscurité
24 novembre 2011

Ainsi nous ignorons des phénomènes profondément

Ainsi nous ignorons des phénomènes profondément significatifs, en les réduisant à un nom, en les considérant comme un fait et en cherchant tout au plus leur explication dans les causes que notre pensée actuelle considère comme les seules réelles, les seules capables de produire des changements : les causes économiques ou spécifiquement historiques. Mais, qu’est-ce que l’historique ? faudrait-il, avant tout, nous demander. Voilà justement ce qu’aujourd’hui nous nous demandons avec le plus d’inquiétude. Qu’est-ce que l’historique ? Qu’est-ce qui, à travers l’histoire, se fait et se défait, s’éveille et s’assoupit, apparaît pour disparaître ? Est-ce quelque chose de toujours autre, ou quelque chose de toujours identique sous chaque événement ?
C’est Hegel qui donna forme plutôt qu’à la question, à la réponse. Car il conçut l’histoire comme une vicissitude nécessaire, inexorable de l’esprit. Et ce ne fut pas le philosophe rationaliste, mais le chrétien assoiffé de raisons philosophiques – désireux de voir se déployer en raison sa foi initiale – qui le conduisit à son idée selon laquelle c’est l’« esprit » qui se déploie dans l’histoire, qui se manifeste, se nie, se dépasse, en se réalisant ; le chrétien exigeant que toute la réalité en vienne à être justifiée par l’esprit créateur. La réalité ne pouvait être la nature créée et produite une fois pour toutes, mais cette autre réalité dont l’homme est porteur, dont l’individu est le masque qui l’exprime et, en même temps, la contient ; masque qui se sacrifie en jouant son rôle pour ensuite disparaître. C’est ainsi que son christianisme dut aboutir à cette idée si peu chrétienne, si païenne, selon laquelle l’individu est le masque du logos. Car, pour l’éviter, il n’avait que la voie de l’orthodoxie chrétienne : celle qui transporte l’événement ultime et décisif, son sens ultime, dans une autre vie. Dans le cas contraire, la pensée n’a d’autre chemin qui s’offre à elle que celui de la disqualification de l’individu en masque, en acteur de l’histoire, et celui de l’histoire elle-même comme dépositaire du sens.
     Cette situation que Hegel mena à son point le plus extrême, est la plus claire expression de la tragédie « humaine », de la tragédie de l’humain : ne pas pouvoir vivre sans dieux. Si l’on prend à présent ce terme de « dieux » au sens élémentaire d’une réalité différente et supérieure à ce qui est humain.
Maria Zambrano, L'homme et le divin.
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Claire Obscurité
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