L'habitude et la grâce
Non seulement les mouvements que l'habitude soustrait graduellement à la volonté ne sortent pas par cela même de la sphère de l'intelligence pour passer sous l'empire d'un mécanisme aveugle, mais ils ne sortent pas de la même activité intelligente où ils avaient pris naissance. Une force étrangère ne vient pas les diriger; c'est toujours la même force qui en est le principe, mais qui s'abandonne de plus en plus à l'attrait de sa propre pensée. C'est la même force qui, sans rien perdre d'ailleurs de son unité supérieure dans sa personnalité, se multipliant sans se diviser, s'abaissant sans descendre, se résout elle-même par plusieurs endroits en ses tendances, ses actes, ses idées, se transforme dans le temps et se dissémine dans l'espace. Ce n'est donc pas une nécessité externe et de contrainte que celle de l'habitude, mais une nécessité d'attrait et de désir. C'est bien une loi que cette loi des membres qui succède à la liberté de l'esprit, mais cette loi est une loi de grâce; c'est la cause finale qui prédomine de plus en plus sur la cause efficiente et qui l'absorbe en soi; et alors en effet la fin et le principe, le fait et la loi se confondent dans la nécessité.
(Félix Ravaisson, de l'habitude.)