OCEAN ET VAGUES La Mer possède le déferlement

OCEAN ET VAGUES

La Mer possède le déferlement immense, la Montagne possède le recel latent.

La Mer engloutit et vomit, la Montagne se prosterne et s'incline. La Mer peut manifester une âme, la Montagne peut véhiculer un rythme, une pulsation.

La Montagne, avec la superposition de ses cimes, la succession de ses falaises, avec ses vallées secrètes et ses précipices profonds, ses pics élevés qui pointent brusquement, ses vapeurs, ses brumes et ses rosées, ses fumées et ses nuages, fait penser aux déferlements, aux engloutissements et aux rejaillissements de la mer; mais tout cela n'est pas l'âme que manifeste la Mer elle-même: ce sont seulement des qualités de la Mer que la montagne s'approprie.

La Mer, elle aussi, peut s'approprier le caractère de la Montagne: l'immensité de la Mer, ses profondeurs, son rire sauvage, ses mirages, ses baleines qui bondissent et ses dragons qui se dressent, ses marées en vagues successives comme des cimes: voilà tout ce par quoi la Mer s'approprie les qualités de la Montagne, et non la Montagne celles de la Mer.

Telles sont les qualités que la Mer et la Montagne s'approprient, et l'homme a des yeux pour le voir. Ainsi, [tous les lieux magiques et enchantés, la montagne magique au nom interdit et sacré, l'île enchantée du fond], bien que dispersés aux quatre coins de l'Univers, peuvent être connus à partir des sources de l'eau et des artères de la terre, courants d'énergie de la Montagne.

Mais qui ne saisit la Mer qu'au détriment de la Montagne, ou la Montagne au détriment de la Mer, celui-là en vérité n'a qu'une perception obtuse!

Mais moi, je perçois! La Montagne, c'est la Mer, et la Mer, c'est la Montagne. Montagne et Mer connaissent la vérité de ma perception, par le libre élan du seul pinceau, de la seule encre!

Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère, Shitao, XXIII, traduction Pierre Ryckmans et Immanuel Cherman.