Les sophistes, humanistes avant l'heure, oublieux de la sophie
De cet humanisme, qui attend tout de l’art et de la culture, fait foi le fameux début du traité de Protagoras : « L’homme est la mesure de toutes choses, de ce qu’elles sont pour celles qui sont, de ce qu’elles ne sont pas, pour celles qui ne sont pas. » C’est au surplus des seules choses humaines que l’homme doit s’occuper. « Quant aux dieux, je ne puis savoir ni qu’ils sont, ni qu’ils ne sont pas ; trop d’obstacles s’y opposent, obscurité du sujet et brièveté de la vie [1]. » Il y a là tout un programme qui aspire à une culture humaine et rationnelle ; on cherche l’homme en général ; c’est Hippias qui, d’après Platon, considère tous les hommes comme « des parents, des proches, des concitoyens selon la nature, sinon selon la loi [2] ». C’est Protagoras qui, dans un mythe célèbre, raconte comment Zeus a sauvé l’humanité qui allait périr faute de moyens naturels de défense, en donnant à tous les hommes la justice et la pudeur, vertus naturelles et innées, qui leur permettent de fonder des cités et de perpétuer leur race en s’aidant les uns les autres : magnifique éloge de la vie sociale [3]. Le sophiste est toujours prêt à défendre les arts ; tel Hippias se vantant, chez Platon, d’être, grâce à eux, indépendant, puisqu’il sait même fabriquer tous les habits qu’il porte. Telle surtout l’anonyme Apologie de la Médecine, dans la collection des œuvres d’Hippocrate ; elle montre, contre leurs détracteurs, l’utilité des médecins et elle débute par ces mots si caractéristiques de l’esprit de progrès du temps ; « Bien des gens s’exercent à décrier les arts... Mais le vrai but d’un bon esprit, c’est ou de trouver des choses p.84 nouvelles ou de perfectionner celles qu’on a déjà inventées » [4].
[1] DIOGÈNE LAËRCE, IX, 51 [‘mesure’].
[2] Protagoras, 337 c [‘XXIV.’].
[3] PLATON, Protagoras, 320 c-323 a [‘XI.’]; cf. l’article de Nasru, Philologues, vol, 70. p. 26-28.
[4] Cf. Gonnets, Die Apologie der Heilkunet, 1910.